[Tribune] L’ère Hulot…
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ou la chance de faire entrer la France dans la maturité écologique
Tribune de Patrick d’Humières, à retrouver aussi sur son blog
Le parcours de Nicolas Hulot résume à lui seul l’appropriation laborieuse de la question écologique en France. Imposée par la société civile, grâce à des personnalités exceptionnelles allant d’André Gorz et de Théodore Monod à Brice Lalonde, Serge Antoine, Michel Barnier et Jean Louis Borloo, sans oublier Alain Juppé, NKM et Ségolène Royal, qui ont tenu bon chacune à leur manière face à une classe dirigeante conservatrice, braquée par l’irréalisme des fanatiques, la dimension environnementale a fini par prendre sa place dans l’administration, les entreprises et les pratiques locales. Mais la mutation reste trop lente au regard de l’urgence du défi, surtout si on compare notre situation aux comportements exemplaires de l’europe du nord et si on constate la complexité des modes de décision en la matière, les conflits et les incompréhensions qui jalonnent encore notre chemin.
Nicolas Hulot a l’occasion, par son talent, sa pertinence, son authenticité, de faire basculer définitivement la France dans le temps des « sociétés écologiques » ; il faudra l’aider et sa réussite attendue est une vraie cause nationale qui va se jouer au moins sur trois dimensions :
-Maintenir la flamme de la Cop 21 dans la communauté internationale, en faisant émerger un prix du CO2 et un dispositif de suivi qui presse les Etats à respecter leurs engagements, d’abord ;
-Ensuite, amplifier l’orientation de la finance dans les ENR et les technologies vertes pour que l’investissement progresse là aussi dans le sens de la trajectoire nécessaire, chez nous et en Afrique.
-Et enfin « civiliser » le débat public et le processus démocratique qui accompagne les mutations d’usage et les infrastructures pour qu’on passe de la défiance maladive à l’intelligence collective.
On ne doute pas de la capacité du nouveau ministre, soutenu au plus haut niveau, à tenir ces trois leviers, mais on sait qu’il y a quelques pièges dans lesquels il ne doit pas tomber au détour de l’ambition.
• Le premier sera de ne pas stigmatiser la communauté agricole et rurale à laquelle on n’a pas donné les moyens de muter et de faire de l’agro-écologie sans s’appauvrir plus encore ou perdre son autonomie. Il faut appuyer positivement tous les acteurs de la chaîne alimentaire.
• Le deuxième piège est celui de la méthode afin de cesser de croire que les lois et les normes sont le seul moyen de s’adapter alors que l’expérimentation et la co-construction sont beaucoup plus efficaces, comme on le voit avec les « green deals » qui sont de vrais outils innovants.
• Un autre piège serait de relâcher l’effort d’internalisation des coûts environnementaux dans les produits et les taxes, même si ce mouvement reste chaotique et peu compris jusqu’ici, parce qu’on n’a pas intégré assez les solidarités et les corrections sociales qui doivent les rendre acceptables.
Reste le monde des entreprises qui a attendu largement l’Accord de Paris pour réaliser que la nouvelle donne d’innovation et d’invention passait par une implication écologique sans crainte et que la question climatique pouvait briser bien des modèles, si elle n’était pas mieux gérée et anticipée. Nicolas Hulot devra aider « le business » à passer à la vitesse supérieure, au-delà de ce que font courageusement les investisseurs ISR français depuis dix ans et quelques pionniers de l’économie verte, en misant dans trois directions bien identifiées :
• Pousser la R&D autour de l’éco-conception et de l’économie-circulaire pour faciliter les transformations, d’une part ; il y a plein de solutions à notre portée qu’il suffit de valoriser.
• Encourager l’accessibilité aux données qui permet aux acteurs de marché d’identifier simplement les produits et les démarches vertueuses, en quittant le terrain de la complexité qui fait douter de l’intérêt de la transparence ;
• Systématiser la voie de la collaboration du public avec le privé, de la société avec l’industrie, sans a priori, pour que les expertises se croisent et que les bonnes volontés fassent sauter les verrous. De nouvelles démarches créatrices, ouvertes, partagées sont nécessaires.
L’esprit administratif et juridique, tutélaire et pusillanime qui a souvent ralenti les agitateurs verts, ne devrait plus être de mise ; donnons leur chance aux praticiens « disrupteurs », à nos « dura-techs » qui, à l’image de nos fin-techs ou bio-techs, fécondent la transformation française, et d’abord dans les bassins d’emploi en quête d’une économie nouvelle. La durabilité de l’économie devrait être le slogan de notre ministre d’Etat pour que la France se situe dans 3 à 5 ans en tête des leaders des services et des nouveaux usages qui répondent au découplage croissance/ressources, une des clés de la compétitivité.
C’est possible, mais à condition que les entrepreneurs aussi n’attendent pas que des cadeaux et des incitations pour investir dans cette durabilité des modèles. L’Etat s’est prêté depuis dix ans à un encouragement de la RSE, tirée essentiellement par les ONG et les investisseurs éclairés, mais qui n’est pas la durabilité, rappelons-le. La pratique française de la RSE depuis le Grenelle (et la loi NRE) se résume largement à la publication des indicateurs de bonnes pratiques et à une pression juridique qui a été consacrée par la loi sur le devoir de vigilance et la loi Sapin 2 contre la corruption, faisant suite à une longue liste d’obligations d’information. Mais rapporter ses bonnes actions n’est pas forcément progresser et rapporter est encore moins s’inscrire dans la trajectoire des objectifs du développement durable qui constituent désormais l’horizon à 2030 des meilleurs projets économiques. Sur cette question clé du rapport entre l’Etat et les entreprises, au nom de la durabilité du modèle économique français, le Ministre Hulot devra là aussi faire œuvre de pédagogie,
• En expliquant que le temps de la responsabilité juridique de l’entreprise face à ses impacts sociaux, environnementaux, sociétaux, est désormais à peu près encadré et que s’il faut améliorer ce cadre, c’est au plan international et européen avant tout qu’il faut le faire ;
• En rappelant les acteurs économiques à prendre leur responsabilité par eux-mêmes, au travers de leurs filières et de leurs organisations professionneles, en lien avec les autres acteurs de la société, pour contractualiser des avancées dans le marché et pour le marché, qui fassent que les consommateurs et citoyens puissent enfin choisir et préférer les entreprises « durablement engagées », face à celles qui ne se soucient pas beaucoup de l’avenir de la planète et de la société.
Il y a là un rétablissement conceptuel à opérer, avec des comportements nouveaux à la clé, que le visionnaire d’Ushuaïa devrait savoir faire mieux que tout autre, tant sa culture audacieuse et sa vision lointaine le rapprochent du monde vivant, de cette biologie sociale qu’est l’univers de l’entreprise, capable de s’adapter au temps lorsque sa survie est en cause et de s’intéresser aux autres quand on lui donne le temps. Osons rêver que Hulot sera le ministre de l’industrie durable, lui qui n’a cessé d’expliquer que le compte à rebours écologique était l’occasion d’inventer un nouveau modèle français.
Pour aller plus loin