Où sera la RSE dans 10 ans ?
Sur son blog, Patrick d’Humières nous propose de réfléchir à une question centrale. Ces échanges pouvant permettre de penser ensemble le projet RSE à la fin d’une décennie de construction et dans l’attente d’une prochaine décennie de reconnaissance du modèle durable.
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Il y a tout juste dix ans, en 2007, le Grenelle de l’environnement donnait les trois coups d’une stratégie nationale de développement durable volontariste et discutée par toute la société française dans laquelle figurait un volet RSE : dans le prolongement de la loi NRE et de la dynamique du Pacte Mondial encouragée par le Chef de l’Etat en personne quelques années auparavant, accompagné du soutien officiel apportée à la GRI et à la mise en place de Vigeo, on a demandé aux entreprises de décrire leurs engagements sociaux, environnementaux et sociétaux, dans des formes détaillées voulues largement par les ONG et de l’ISR naissant. Il faut dire que le monde des entreprises n’avait pas vu venir cette pression qu’il l’a vécu largement comme une contrainte bureaucratique, ne s’étant pas encore approprié les nouvelles questions de durabilité, à quelques acteurs près. Dans ce contexte tendu, il fallait relever le défi d’un engagement positif, ce qui nous a conduit avec quelques professionnels à créer le Collège des directeurs de développement durable « engagés » et à affronter une fois de plus les tendances conservatrices d’une économie française qui attendra la COP 21 pour basculer pleinement dans une démarche où le modèle durable sera enfin reconnu comme la voie « gagnante » vers le monde nouveau.
En 2017, la France tient mieux que sa place dans le champ de la RSE, avec un peloton de grandes entreprises en tête des meilleurs classements mondiaux, des engagements de décarbonation et d’éco-conception qui progressent réellement, une bonne douzaine d’accords cadres internationaux souscrits avec les syndicats , un intérêt croissant aux achats dits responsables, un reporting extra-financier maîtrisé et une gouvernance qui s’est emparée de la question (cf. recommandation IFA), même si nous restons un pays qui a du mal à parler avec ses parties prenantes, à participer aux constructions internationales et dans lequel la masse des entreprises, moyennes et petites, confond encore la RSE avec une bienveillance sociétale. L’histoire retiendra néanmoins que le rejet patronal du double projet d’Antoine Riboud en 1972 aura été réparé deux à trois générations après, avec les éloges de la RSE répétés aujourd’hui dans les discours des PDG, et qu’il aura fallu passer pour cela des nationalisations sanctions à l’internationalisation des groupes à marche forcée, des 35h imposées à la subsidiarité de la politique contractuelle et de la coupure public-privé à la promotion nationale de l’économie de marché. La RSE est entrée désormais dans le capitalisme français, certes de façon convenue par beaucoup qui y voient encore une attention citoyenne à des rapports avec la Société pour qui veut justifier sa réussite, mais aussi de façon entraînante par une minorité d’acteurs qui démontre que c’est la voie exigeante vers la durabilité de modèles multi-parties prenantes.
Que nous réservent les 10 ans qui viennent, si on peut lire les tendances de fond à l’œuvre, à savoir une critique de fond de la croissance inéquitable, justifiée par des comportements économiques problématiques, une volonté d’appréciation de la juste valeur des actifs par les investisseurs qui regardent aussi à long terme, un mouvement de régulation laborieux des marchés à risque systémique et fondamentalement une démographie qui requiert un accès des classes moyennes et pauvres à une sécurité matérielle compatible avec les ressources planétaires? Y réfléchir doit nous conduire à dessiner une doctrine partagée entre entreprises françaises et européennes, puisque c’est sur cette scène que se joue désormais la compétition entre le modèle de production quantitative qui est à bout et un modèle qualitatif naissant qui veut concilier les intérêts sociaux, environnementaux et économiques à l’échelle locale et globale. Mais nos acteurs français doivent enfin comprendre que les cadres se sont d’abord définis dans le monde anglo-saxon et que ce dernier en s’adressant surtout au consommateur, a pris une avance sur une approche française qui s’est concentrée sur la conformité juridique et tournée d’abord vers les investisseurs éclairés. Il faut aussi réaliser que la société civile lâchera moins que jamais la demande de «neutralité environnementale », et que les entreprises qui n’ont plus un droit automatique à agir, devront échanger désormais leur puissance acquise et facilitée partout, contre un comportement « pro-société », non nuisible en tout cas ; on assiste en ce sens à la cristallisation d’un socle universel de vigilance, allant des principes Ruggie au contrôle de la supply chain, dont les juges se saisissent plus aisément ; il s’enrichit d’une demande d’équité fiscale et de « retour pour le territoire » , qui sont les nouveaux combats institutionnels de l’OCDE qui vient de porter une sérieuse estocade aux paradis fiscaux. Seule limite à ce contexte plus contraignant, l’OMC est loin d’être prête à accepter de voir les critères RSE ou ESG inscrits dans les barrières non tarifaires ; pas sûr non plus qu’on obtienne une révision de l’ISO 26000 pour qu’elle devienne certifiable et contractuelle. Encore moins probable que la GRI devienne à court terme la seule métrique extra-financière, comme elle cherche désespérément à le faire; ce seront les instances comptables internationales qui définiront un jour un reporting extra-financier qui se moulera de plus en plus dans le reporting financier, « juste valeur oblige » ; on peut se désoler que la résolution de Rio+20, portée par la France, n’ait pas réussi à étendre la demande de reporting ! Le plus probable est que la dynamique de marché reste le moteur des évolutions, avec d’un côté un modèle philanthropique dominant, porté par l’Amérique et l’Asie, qui assimilera RSE et implication locale, à la main de chaque entreprise, et de l’autre un modèle durable propre à des entreprises pilotes qui se donneront une mission pro-active de compatibilité avec « les intérêts du monde » (ODD) pour porter leur marque, soutenus par des investisseurs spécifiques (cf. Green Bonds, PRI…).
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