La RSE en 2016? Prévoir & vouloir
Comment la RSE peut-elle atténuer la déstabilisation montante de la société mondiale ?
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L’analyse de Patrick d’Humières, directeur des Master Classes 21 & du programme de formation executive « entreprise durable l’Ecole CentraleSupelec, Senior Advisor EY
Il y a bien une maturation en cours de la fonction DD/RSE qui correspond à l’évolution du modèle économique de l’entreprise, vers un modèle plus durable, dont elle doit porter la dynamique
Faute de boule de cristal, on peut s’appuyer sur le panorama « global risks » 2016 que publie le Forum de Davos, pour comprendre dans quel contexte vont se trouver immergées les entreprises cette année, et pour cerner le rôle – marginal ou important ? – que prendra la RSE, dans les turbulences annoncées au cœur de cette « 4° révolution industrielle » que vivent les milliers de chefs d’entreprise du monde interrogés par le WEF : le déficit d’emploi et l’instabilité sociale, la variation des prix de l’énergie, les tensions fiscales et de gouvernance, les bulles et les cyber-attaques auront plus d’impacts à court terme que les crises environnementales (carbone, eau, biodiversité) qui se profilent irrémédiablement, par-delà les risques sanitaires et militaires qui n’en finissent pas. Les passages de l’ère fossile à l’ère verte, de l’ère d’expansion transnationale à l’ère de la réaffirmation souveraine, de l’ère des rentes à l’ère des entrepreneurs, posent la question de la confiance entre acteurs pour accompagner ces glissements de plaques considérables, alors que rien dans l’économie de marché n’y incite et même si le formidable Accord de Paris fait espérer des convergences.
Lancée il y a une quinzaine d’années pour faire le lien entre les objectifs du développement durable portés par les Nations Unies et les entreprises de bonne volonté, « cadrée » par les principes directeurs de l’OCDE et une demande d’information fiable sur les impacts sociétaux par les investisseurs et quelques Etats (dont la France), la RSE est clairement à un palier. Elle s’installe dans une démarche de progrès managérial qui sert aux entreprises pionnières à améliorer leur attractivité sociale et celle de leur marque, ce qui a un fort effet d’entraînement qualitatif, sur les achats, le marketing, l’éco-conception des offres etc. Toutefois, même si Harvard accord un coefficient de 20% à la RSE dans la performance ( classement 2015) et si la dernière étude de France-Stratégie le mesure
à hauteur de 13% en moyenne (cf. Patricia Crifo), la RSE est soumise en ce moment à un double défi de crédibilité, après l’affaire Volkswagen, et d’intégration dans les modèles d’affaire, auquel il faudra bien répondre en 2016, au risque de voir d’autres voies l’emporter dans les préoccupations du business. Et de nous faire revenir à des gestions étroites de « sauve qui peut », chacun dans son coin.
2016 devrait se caractériser par l’amélioration de 3 points clés du « management responsable » :
- « La décarbonation », décidée à l’Accord de Paris, va se hisser au rang des premiers critères de performance des firmes, dont il faudra faire état dans les comptes, non plus en termes de volume d’émission mais au regard de la trajectoire des 2°C et en monétarisant « la dette carbone » à un prix de marché réaliste. Avec l’indication des plans d’action à long terme.
- La maîtrise de la supply chain, qui appelle un « devoir de vigilance », en matière de droits humains et de lutte contre la corruption, comme le demandent les règles internationales et européennes, qu’il faut contrôler en termes de risques et qui va disposer d’une norme ISO, d’un rating qui se généralise (cf.Ecovadis) ; l’OIT tiendra son assemblée à Paris sur le sujet.
- L’intégration de la métrique extra-financière dans l’information financière, en sélectionnant enfin les indicateurs matériels pertinents qui mesurent le sens de la création de valeur durable versus la création de valeur ( CVD/CV), comme y poussent la directive européenne et des méthodes qui s’universalisent (SASB, GRI), pour éclairer utilement la gouvernance.
Pour autant, on attend deux sauts plus exigeants encore de la part des directions DD & RSE, pour que la RSE passe d’une démarche d’amélioration managériale incrémentale à une démarche d’accélération de la mutation structurelle en cours, fruit de la digitalisation, des changements de valeurs culturelles, de la raréfaction des ressources, en allant au-devant de populations non-clientes.
- C’est l’appropriation de démarches collaboratives avec les acteurs de la société civile, les pôles d’invention et d’expérimentation et les institutions qui portent les projets de rupture. Ceci sera la vraie valeur ajoutée des Directions DD & RSE pour faire entrer la société dans les solutions d’entreprise (cf.Note Medef , « l’avenir des directions DD & RSE » )
- C’est la contribution à la régulation positive des marchés, en contribuant à des démarches sectorielles de progrès et en collaborant avec les acteurs publics de manière loyale. Ceci découlera d’un engagement institutionnel et d’une incarnation indissociable de la RSE par les dirigeants, mandatés en ce sens par leu Board, pour faire bouger les lignes public-privé.De fait, il n’existe pas encore de cadres incitatifs définis par les pouvoirs publics pour pousser cette dynamique d’initiatives volontaires qui caractérise la RSE, hors mis les référentiels internationaux comme les objectifs de DD votés en 2015 par l’AG des Nations Unies. Cette réflexion est engagée mais les Etats ne savent pas encore se positionner entre la loi uniforme et le marché ouvert. Ce n’est pas une raison pour continuer dans cette démarche prédatrice du « pas vu pas pris » ou du « encore un moment » qui inspire la plupart des lobbyings d’entreprises, ignorants de l’intérêt public. Ce débat va s’accentuer en 2016 car la criticité des risques systémiques (climat, ressources, déchets, accidents, santé, bien-être au travail, accessibilité aux biens et services etc..) est telle que les entreprises qui croissent aveuglément, courent le risque de voir les Etats les limiter ou les punir…Le débat de la régulation responsable va éclater en 2016 et obliger les gouvernances d’entreprise à suivre d’autres indicateurs que l’EBITDA ou la valeur actionnariale, dont « la durabilité du modèle ».
En 2016, la RSE devra contribuer plus à la stabilisation des marchés et des sociétés où elles agissent en réduisant les impacts négatifs de façon déterminée et en recherchant des modes de collaboration qui diminueront les risques environnementaux, sociaux et de mal-gouvernance public-privé. Ce qui appelle une RSE qui domine ses techniques, qui va au-delà des bonnes pratiques et qui rentre dans « le business case » de l’entreprise, c’est-à-dire qui associe des offres nouvelles porteuses d’un avantage compétitif avec une contribution systémique à une régulation responsable des marchés.