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13 juillet 2016

L'importante gestion de l'environnement et du social dans l'entreprise

Quelles clés de succès pour que la fonction développement durable assure mieux sa mission au service de la mutation durable des entreprises dans la décennie à venir ?


La commission RSE du MEDEF a organisé le 27 novembre dernier en collaboration avec Patrick d’Humières, Senior Advisor EY, un débat autour de la fonction Développement durable dans l’entreprise, en vue de faire partager aux entreprises l’importance montante de cette fonction pour accompagner avec succès les évolutions qui s’accélèrent en leur sein. Marie-Claire Daveu, directrice Développement Durable de Kering, Yves Dieulesaint, directeur RSE de Gecina, Isabelle Juppé, directrice Développement Durable du groupe Lagardère, Dominique Lamoureux, directeur RSE de Thalès et Agnès Weil, directrice Développement Durable du Club Méditerranée, ont apporté leur témoignage. La synthèse des échanges a été rédigée par Patrick d’Humières (Senior Advisor EY, Ecole Centrale Entreprise Durable), avec l’appui de la Commission RSE du MEDEF.

Il y a bien une maturation en cours de la fonction DD/RSE qui correspond à l’évolution du modèle économique de l’entreprise, vers un modèle plus durable, dont elle doit porter la dynamique

Résumé des échanges

Les directions développement durable ou RSE ne sont pas construites sur un modèle unique. Leur positionnement et leur rôle peuvent varier en fonction des entreprises, de leurs secteurs d’activité, de leur taille, de leur niveau de maturité par rapport au DD, et du soutien apporté par la Direction Générale, jugé crucial par tous. Cela étant, on relève un certain nombre de caractéristiques communes.

A l’origine, la direction DD ou RSE a fondé sa légitimité par le biais de la compliance, en fournissant les métriques demandées par les investisseurs, les agences de notation et le législateur, puis en facilitant l’appropriation des enjeux du DD par le management.

Face aux nouveaux défis auxquels les entreprises sont confrontées, la fonction DD/RSE est questionnée sur ses missions et sa valeur ajoutée par rapport à d’autres fonctions émergentes comme les directions de la transformation dont certaines entreprises commencent à se doter.

De fait, la compétence DD/RSE se concentre sur son expertise sociétale. Mettant à profit sa position transversale en lien avec l’ensemble des directions de l’entreprise, elle est appelée à jouer un rôle croissant de passeur d’information à l’interne comme à l’externe. A l’interne, elle voit se renforcer sonrôle central de pédagogie et d’accompagnement des métiers sur les nouveaux enjeux. A l’externe, elle joue un rôle crucial d’interface entre l’entreprise et ses parties prenantes ; mission pour laquelle elle est complètement légitime. A ce titre il lui revient d’assurer une mission de veille et d’identification des signaux faibles, dont la diffusion au sein de l’entreprise peut être porteuse de solutions et d’innovations.

Réflexions détaillées issues des échanges

Une prise de conscience partagée de la criticité du contexte
planétaire fait de la durabilité l’horizon des business gagnants.
La fonction DD repose sur l’appréhension de ces enjeux.

Nos entreprises sont immergées dans un contexte où les données socio-politiques et culturelles, les défis de ressources, d’intégration locale et d’adaptation aux besoins changeants des générations nouvelles, s’ajoutent aux ruptures technologiques et aux facilités de communication dans l’ensemble du monde. Ces pressions exogènes à l’entreprise et les risques systémiques associés, ne vont cesser de compter, d’où l’importance de ne pas les sous-estimer et de ne pas privilégier les outils au détriment des résultats. A ce sujet, « les analyses de matérialité » s’imposent progressivement comme les points de passage incontournables pour la construction d’objectifs, d’indicateurs clés et de plans d’action, ce qui suppose une appréhension sérieuse et croisées des perceptions internes et externes de ces défis de durabilité, pour bien en apprécier les impacts et les potentialités.

La COP21 aura été l’occasion d’une mobilisation sans précédent de la communauté mondiale des entreprises pour prendre en compte les démarches existantes en matière de réduction des émissions de carbone, dans la gestion des modèles, avec des exigences de résultat et son inscription dans les bilans de l’entreprise au travers d’une monétisation croissante du CO2 qui change la donne actuelle.

Parallèlement à ce basculement du cadre énergétique séculaire, l’économie circulaire s’impose comme le modèle économique le plus efficient à terme, tant pour assurer l’approvisionnement durable en ressources que pour les utiliser efficacement tout au long du cycle de vie des produits, pour optimiser la chaîne de valeur, et pour créer mieux pour un plus grand nombre.

Ce mouvement particulier de notre histoire économique redistribue fondamentalement les rentes, les opportunités et les relations en transférant le pouvoir de régulation à la société. L’avantage compétitif se déplace en partie sur la capacité à collaborer entre acteurs, ce qui suppose de connaître ses parties prenantes, de susciter leur confiance et de participer aux collaborations multiples qui déterminent désormais les dynamiques d’offre et de demande.

La fonction durable est celle qui apporte à l’entreprise cette capacité à collaborer avec les acteurs pour créer « l’entreprise intégrée à la société » qui détermine désormais l’appropriation des innovations et des offres, des changements de modèle et de relation, clés de la compétitivité. La création de valeur demain sera durable et négociée, ou ne sera pas. Le rôle unique des directions DD & RSE est de faciliter cette création de valeur par l’apport du regard et des attentes de la société dans l’entreprise.

On identifie 5 leviers possibles sur lesquels la fonction DD ou RSE peut s’appuyer pour réussir l’intégration de l’entreprise dans la société et améliorer la durabilité de son modèle. Ce qui permet de dépasser sa mission de mesure pour être une mission créatrice.

— 01
Le mandat de gouvernance durable :  c’est la façon dont le Conseil et le management se saisissent des diagnostics pour fixer des trajectoires de progrès explicites aux directions DD & RSE dont elles ont besoin pour entraîner les autres, au-delà des comportements managériaux anciens. Ce mandat se traduit par une feuille de route d’objectifs quantifiés à moyen terme.

— 02
L’innovation coproduite avec la société : c’est la façon dont l’entreprise expérimente, contracte, s’associe avec des acteurs de la société pour réaliser des offres nouvelles, parfois en marge des business, ayant vocation à les réinventer. Cette mission se traduit par des prises de risques en termes de produits et services qui ont un vrai sens durable.

— 03
Le financement responsable : c’est la relation créée avec une catégorie d’investisseurs (cf. ISR, PRI, Green Bonds) qui choisissent l’entreprise sur des profils de risques et d’engagements et attendent d’elle des comportements spécifiques et différenciant. Cette mission se traduit par des notations et des souscriptions qui surcotent la valeur.

— 04
Le « pacte de marque » : c’est la relation recherchée avec les clients et non clients pour créer des engagements privilégiés de développement durable qui passent par la promesse et la reconnaissance de la marque et dont l’entreprise fournit la preuve. Le « pacte de marque » se traduit par des dialogues, des partenariats et des fidélisations choisis et actifs.

— 05
Le « projet partagé » : c’est l’expression par l’entreprise d’un projet visant à être rentable, et s’accompagnant de bénéfices sociétaux, qui se positionne sur des offres spécifiques et dont les salariés volontaires sont des porteurs privilégiés. Cela se traduit par des recrutements ciblés et des engagements extra-salariaux négociés.

Il y a bien une maturation en cours de la fonction DD/RSE qui correspond à l’évolution du modèle économique de l’entreprise vers un modèle plus durable, dont elle doit porter la dynamique.

La RSE est la recherche de conciliation par l’entreprise de ses propres objectifs avec ceux de toutes ses parties prenantes, pour produire des biens et des services appropriés aux exigences de durabilité (cf. modèle DEAL de la durabilité : Découplage de la production, Equité du fonctionnement, Accessibilité des offres, Loyauté des pratiques).

La fonction DD ou RSE va trouver sa nouvelle dynamique en passant d’une phase de construction, qui s’appuie sur la mesure (le reporting), à une phase de pédagogie, qui s’appuie sur la recherche d’accords internes, et aller désormais vers une phase plus élaborée de création, qui s’appuie sur la collaboration avec les parties prenantes.

Au final, ce sont bien les directions DD et RSE qui doivent proposer ces cheminements stratégiques à leur management et à leur gouvernance pour qu’ils se les approprient.

L’expérience de la décennie passée montre que les fonctions DD et RSE sont nées des crises, des pressions et des réglementations mais qu’elles ne se sont développées qu’au travers d’une itération constructive avec la gouvernance, le management, et les autres directions, autour de visions communes, reposant sur des « business cases » bien posés. La recherche d’opportunités doit l’emporter sur la gestion des risques et « le gain » doit être explicité.

La capacité des directions à formaliser la trajectoire de construction d’une politique de DD/RSE, elle-même au service d’une stratégie d’entreprise intégrée dans la dynamique sociale, environnementale et sociétale qui la justifie, décide de leur faculté à faire muter les modèles, qui plus est dans des contextes mondiaux et culturels très diversifiés.

On observe ainsi des « modèles suiveurs », pour gérer la conformité, qui reste le premier âge de la fonction DD/RSE, mais aussi des modèles d’engagements qui gèrent la pédagogie interne, qui est le deuxième âge de la fonction pour susciter un meilleur partage interne, lesquels modèles reflètent aussi des niveaux d’appropriation différents des problématiques durables par le management et la gouvernance, selon leur propre « rapport au monde ».

On se dirige aujourd’hui vers un nouvel âge de la fonction DD/RSE, qui correspond au « modèle collaboratif ». Ce dernier établit des liens avec les acteurs externes dans le but de co-construire des changements. Les acquis de la métrique RSE permettent de construire des démarches créatrices dans une logique de transparence et de performance, condition de leur crédibilité et de leur contractualisation réussie. Cette vision est portée par les directions et les entreprises pionnières. La COP21 a notamment permis de mettre en lumière ces initiatives de collaboration, de plus en plus nombreuses, dans tous les secteurs, dans le monde entier, et sur de nombreux enjeux du développement durable (énergie, ressources, recyclage, BOP, droits de l’Homme, etc.).

Indispensable de par son expertise à créer ces collaborations sociétale, unique à savoir les installer dans une trajectoire de progrès stratégique en réponse aux enjeux de fond, et méthodique dans la façon de réussir leur appropriation interne et leur crédibilité externe, la direction développement durable de demain est en train de définir son apport original à la croissance de l’entreprise, en inventant le management mesuré et négocié de « la valeur partagée », si bien théorisée par Michael Porter. Cette discipline issue des temps nouveaux est aussi la solution à cette extraordinaire difficulté que vivent les entreprises contemporaines qui, après avoir appris à gérer les questions de marché, doivent désormais apporter des réponses aux questions de société, au regard de leur mission et des engagements pris. Les directions DD & RSE sont la réponse.

Annexe

Inventaire des 7 missions de la fonction Développement Durable & RSE, par Patrick d’Humières
  1. Evaluation de la position de l’entreprise pour en rendre compte dans les reporting (obligatoires) et les ratings et la communication corporate ou de marque
  2. Définition d’une politique RSE & DD et accompagnement de son déploiement auprès des autres fonctions de l’entreprise (animation d’un comité et explicitation du business case)
  3. Le suivi et l’écoute des parties prenantes en vue de restituer les attentes, de nouer des partenariats, de stimuler la politique DD et de démarches collaboratives
  4. L’approfondissement des enjeux spécifiques de l’entreprise avec les fonctions concernées, en vue d’évaluations techniques (ACV), d’accompagnement de la chaîne de valeur (vigilance / fournisseurs) et d’engagements de progrès souscrits (compliance)
  5. L’émergence d’innovations et de nouveaux services porteurs d’une durabilité spécifique ayant un intérêt stratégique pour l’entreprise et de gestion de ses impacts
  6. La formation des acteurs de l’entreprise aux questions de DD & RSE, à la compréhension et à l’appropriation des enjeux, à leur information et à leur prise en compte opérationnelle
  7. La représentation de l’entreprise, au titre de sa communication et de sa valorisation et en vue de participer au travail normatif sectoriel ou général de co-régulation et d’engagement