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12 juillet 2017

L’entrepreneur a un rôle politique !

Tribune de Patrick d’Humières, à retrouver aussi sur son blog

Le sens de la décision, du risque et de l’audace, caractérisent la psychologie du véritable entrepreneur. De Lesseps à Niel, en passant par Citroën, Bouygues, Bolloré, nos grandes figures entrepreneuriales d’hier à aujourd’hui, ont un point commun : celui de faire et de dire ce qu’ils pensent, qu’ils croient utiles à la création économique et sociale.

Quand le président de Paprec, Jean-Luc Petithuguenin, fait adopter dans son entreprise une charte de la laïcité et quand il écrit – en son nom – à ses salariés pour leur donner son opinion sur le risque que fait courir un vote Front National à l’élection présidentielle, comme l’ont fait d’autres dirigeants engagés lors des élections régionales et en d’autres temps dans d’autres contextes, il pose un acte Politique – avec un grand P – qui tient à sa place dans la Cité.
Quand le président de Scor, Denis Kessler, alerte sur l’état des lieux du pays ou Jean-Paul Tricoire, président de Schneider entraîne ses pairs à signer le Pacte Mondial, ou quand Pierre-André de Chalendar, président de Saint- Gobain milite fortement pour que les entreprises appuient les conclusions de la COP 21, ces chefs d’entreprise ne se laissent pas aller à des choix personnels partisans ; ils font de « la politique » au bon sens du terme, celle qui consiste à assumer les conséquences collectives de sa position pour participer pleinement à la régulation publique dont les patrons sont des acteurs attendus et solidaires.

Ceci dans le cadre démocratique bien entendu, qui repose sur la liberté des opinions et le débat de fond, où chacun doit s’impliquer à son niveau dans la marche du monde, surtout si son activité personnelle l’oriente plus que d’autres. De ce fait, il se met à égalité avec les autres acteurs sociétaux, des syndicats aux associations civiles, qui participent aussi légitimement à la construction de la vie publique. Pour autant, il ne s’agit pas de confondre son rôle avec celui des élus qui ont seuls la mission de décider et d’arbitrer les choix locaux ou nationaux, et internationaux. Oui, l’entrepreneur et l’entreprise sont des acteurs de la démocratie réelle dont ils doivent tirer toutes les conséquences, pour ce qui les contraint, comme pour ce qui les légitime.

De fait, la responsabilité sociétale de l’entreprise commence par celle du chef d’entreprise ; elle consiste à penser son projet économique de façon à satisfaire d’abord ses parties prenantes principales que sont les fameux 4 C : capital, clients, collaborateurs, Cité, ; mais aussi « sa communauté élargie » avec laquelle l’entreprise partage une communauté de destin qui l’implique aussi dans l’avenir collectif du « système » dont nous avons tous besoin pour durer, qu’il s’agisse de la planète et des valeurs essentielles. L’entrepreneur doit accomplir sa « mission de marché » qui le définit, en cohérence avec cette « mission Politique » qui l’interpelle, pour que les deux n’aillent pas contre le bien commun et le fassent avancer qui plus est. On sait bien que depuis les débuts de l’ère industrielle, le marché accumule les déficiences et que la loi a dû y remédier, au point d’installer un édifice juridique, très lourd et très complet qui conditionne « le droit à opérer ». La pression de la concurrence, d’une part, et la faiblesse des codes professionnels, d’autre part, expliquent pourquoi l’encadrement normatif est désormais la règle et l’engagement volontaire l’exception. Ce n’est pas la voie la plus efficace, tant s’en faut, mais on ne refera pas l’Histoire et « le marché de la vertu » n’existe pas non plus! Bref, la faiblesse des engagements politiques de la communauté des affaires, depuis que l’économie de marché est devenue l’axe de la planète – plus que la démocratie – et les pratiques économiques défaillantes au quotidien, sociales, environnementales, ont fait de la loi nationale le cadre général de la régulation, l’engagement volontaire devenant un plus, au-delà et de bonne volonté, ce qu’on dénomme désormais la RSE ; celle-ci invente une façon de précéder la norme pour régler les enjeux collectifs avec de l’innovation et de l’audace, en espérant qu’elle rapportera à l’entreprise engagée une préférence, sinon de meilleures conditions de fonctionnement à terme. Cette dialectique de la loi qui encadre et de la RSE qui tire, est en train de progresser fortement, à cause d’un délitement des Etats et d’une prise de pouvoir de la société civile qui a envie de contracter directement avec les entreprises, du moins avec celles dont les dirigeants portent un vrai engagement sociétal.

Cette dynamique est partout à l’œuvre dans le monde ; elle a un sens géopolitique positif : il faut favoriser le contrat entre la société civile et l’entreprise pour améliorer le contexte sociétal, plutôt que de « faire la guerre » aux entreprises a priori, sachant que les mauvaises devront toujours rendre compte de leurs actes, avec une sanction coûteuse et une réputation entachée. L’enjeu de co-régulation des marchés est la clé d’une croissance durable ; celle-ci suppose de concilier compétitivité et responsabilité, comme le président du CESE a dû le rappeler lors de la dernière rencontre de la plateforme nationale RSE. Il faut dire qu’en France, comme le montre le travail de cette plateforme, on continue de confondre sous le même vocable de responsabilité, la « liability » qui est la responsabilité judiciaire de l’entreprise », avec la « responsability » qui est son engagement volontaire ; composée pour l’essentiel d’acteurs critiques de la société civile qui veulent transformer « la soft law » en « hard law », la plateforme se fait ainsi l’antichambre de la loi. Alors qu’on a besoin d’un espace de dialogue paritaire, entre entreprises et représentants de la société civile, sur la façon de faire progresser les démarches volontaires et les coalitions de progrès, permettant de déboucher sur des contrats volontaires à trois -Etat, société, entreprises -clés de la dynamique de durabilité. Le fait que des entrepreneurs se mouillent fortement dans le champ collectif, que des « contrats transformationnels », selon l’excellente expression de Pascal Canfin, DG de WWF France, se nouent de plus en plus et que l’Etat commence à percevoir qu’entre la loi et le marché il existe un espace nouveau de régulation partagée, et non forcée, fait d’expérimentation et d’invention, sans qu’on ait forcément besoin de déboucher sur la contrainte uniforme, nous font espérer que le contexte va évoluer positivement. Ne serait-ce que parce que les acteurs sont de plus en plus nombreux à partager la vision du développement durable et que ce logiciel ne peut fonctionner qu’en se faisant confiance ! La durabilité est un partenariat Politique.

Pour aller plus loin

Retrouvez l’ensemble des posts de Patrick d’Humières sur son blog : http://company21.fr/index.php/category/blog-patrick-d-humieres/