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7 juillet 2016

En attendant « la crise au coin de la rue », la leçon magistrale du Gouverneur Camdessus

La finance explore ses limites responsables


Est-ce que la « finance for good » existe ? Cela aurait pu être le thème de cette semaine de la finance responsable qui s’émancipe enfin de l’ISR pour s’intéresser aux comportements « mainstream ». HEC a osé s’attaquer à cette question. Devant un parterre de jeunes étudiants du monde entier passionnés, l’une des figures les plus expertes de la régulation financière de ces trente dernières années, Michel Camdessus, ancien patron du FMI, répond non – ou plutôt pas encore et pas vraiment -à cause de la dérive idéologique néo-libérale qui perdure ; il dénonce d’une façon lumineuse le mal fait par l’école de Chicago – Hayek, Friedmann – qui ont inspiré des décennies de dérégulation financière conduisant à la plus grande crise de confiance de l’après-guerre, sauvée par le G20 en 2008, mais au prix d’un endettement qui fait craindre maintenant que « la prochaine crise est au coin de la rue… ».

« l’hérésie dérégulatrice, alliée à l’hubris consumériste »

Le diagnostic est aujourd’hui partagé par toutes les institutions concernées : on a fait depuis trente ans des choix techniques erronés, avec une dérive éthique sans retenue et au bout du compte une économie financière qui a préféré le casino à l’économie réelle ; c’est ce que Michel Camdessus appelle « l’hérésie dérégulatrice, alliée à l’hubris consumériste » dont les (seuls) grands gagnants sont les dirigeants privés, acteurs d’une évasion fiscale sans limite.

 La chute de Deutsche Bank est le énième épilogue de cette perte de sens. Ce dérapage collectif voulu, par Reagan et Thatcher essentiellement, est  à mettre en regard des « mega-trends » planétaires qui se sont imposés parallèlement : un réchauffement climatique programmé à près de 4 à 5°C de plus à la fin du siècle, des ressources non renouvelables non gérées, une urbanisation et une démographie chez les émergents qui ne trouvent pas de réponse en termes d’investissement et d’emplois, même si la prévision est un triplement du revenu mondial d’ici 2050, au profit d’une classe moyenne qui regroupera 50 % de la population.

Mais le catastrophe n’est pas l’issue la plus sûre car les solutions existent pour Michel Camdessus qui renvoi en même temps au témoignage de Bertrand Badré, ex DG de la Banque Mondiale, sur les voies possibles d’une « finance honnie » qui peut encore « sauver le monde », à plusieurs conditions : une surveillance mondiale sérieuse des risques prudentiels, appliquée à la sphère hors bilan et au « shadow banking », une réforme du système monétaire international et des pratiques auto-régulatrices de la part des acteurs privés pour coopérer avec les institutions internationales. L’émergence de la finance verte, qui se spécialise dans le financement de la transition énergétique, est un bon signe. De même que le glissement vers une gouvernance à plus long terme de la part d’entreprises, familiales et moyennes notamment, qui préfèrent échanger de la sécurité et de la pérennité contre la volatilité et le rendement excessif que les fonds ont promu inconsidérément.

Peu d’hommes aussi estimables et expérimentés que Michel Camdessus osent tirer la sonnette tout en montrant le chemin vers l’équilibre de nos économies mondiales à retrouver entre les capacités d’épargne et les besoins d’investissement . Les entreprises ont grand intérêt à ce redressement et sont de plus en plus nombreuses à se mobiliser autour de la durabilité ; qu’attendent-elles pour dire leur vérité aux acteurs financiers qui nous mettent en péril ?